La cabane aux contes
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Pas tout de suite/texte

Pas tout de suite/texte

Pas tout de suite/texte

Je suis assise sur la balançoire avec mes écouteurs sur les oreilles. J'ai les yeux à demi-fermés, mais j'écoute  et je savoure la musique qui m'enlace comme un câlin. Je sais que si j'ouvre les yeux, je vais voir les chevaux de mes voisins brouter paisiblement dans le pré.

-"Nina!"

J'ouvre les yeux, un sourire aux lèvres, et tourne la tête lentement vers l'endroit d'où l'appel venait. J'aperçois ma mère qui arrive vers moi, un air content sur le visage.

-"Qu'est-ce qu'il y a?

-Quand tu seras en troisième, on ira en ville pour que ton frère puisse aller au lycée, mais comme je ne veux pas que vous soyez en internat, parce qu'on ne se verrait plus que le week-end, on ira à Chambéry, ou à Grenoble."

On va déménager? Quand je serais en troisième? Je suis en quatrième. Je voudrais être contente, je voudrais que le sourire de ma mère soit contagieux, mais je n'y arrive pas. Je sens mon nez me chatouiller, puis mes yeux s'humidifier.

-"Mais maman...

-Tu ira dans un collège pour finir ton cycle de collégienne, puis tu ira au lycée, et ensuite, on redéménagera pour aller je sais pas encore où..."

J'ai envie de lui crier "Comment tu peux me faire ça??!" J'ai envie de m'enfuir pour ne pas rester en face de cette réalité et j'ai une terrible envie de pleurer. Elle s'éloigne pour rentrer à la maison. Je regarde les chevaux, la bouche entrouverte, et pense à tout ce que j'ai ici.

J'ai la forêt, où je peux aller grimper dans un arbre pour contempler le contre-bas, observer les branches qui ondulent en rythme dans le vent, et peut-être apercevoir un nid d'oiseau entre deux branches. Je peux m'assoir dans l'herbe pour chercher des marguerites et en faire un collier, pendant que les herbes s'agitent autours de moi. Je peux repérer les traces des biches et les suivre durant des heures pour me rendre compte que je tourne en rond, et pourtant retrouver très facilement le chemin de la maison.

J'ai la rivière, ou il y a le coulis de l'eau sur les rochers, les branches qui flottent à la surface, les arbres aux feuilles d'un vert éclatant qui surplombent la rivière comme si ils cherchaient à voir leur reflet. L'eau très froide qui caresse mes pieds et mon coin préféré, ou ça fait une sorte de jaccuzzi qui masse mes mollets.

Il y a le jardin, avec le framboisier, où, gourmande, je peux piquer quelques fruits et les manger, un sourire aux lèvres. L'arbre, qui m'offre de l'ombre et un léger bruissement qui me berce.

Les chevaux, dont je m'occupe avec attention, je les panse, leur démêle la crinière et les caresse pour les endormir. Une fois qu'ils sont endormis, je m'allonge à côté d'eux et pose mon oreille contre leur ventre en écoutant le battement régulier du cœur. Les poulains, avec qui je me permets une course endiablée en parcourant le pré, le poulain courant à côté de moi. Le plaisir de voir les chevaux galoper vers moi quand je vais les voir, presque tout les jours.

Sans oublier le collège, les supers surveillants, les profs marrants et le bâtiment familier. Mais surtout, mes amis, avec qui on s'organise des sorties au cinéma, des soirées pygama. Quand on se retrouve à la récréation pour se regrouper sur notre banc favori, en rigolant d'un ton léger.

Non, je ne veux pas partir, je ne veux pas quitter tout ça, je ne veux pas changer de vie. Alors je me referme sur moi. Je passe le plus clair de mon temps à écouter de la musique dans ma chambre, je ne supporte plus la compagnie des autres personnes, sauf celle de mes amis et de ma famille, en sachant que je devrais tout quitter pour être enfermée, étouffée dans une ville. Je ne pourrais jamais vivre dans une ville.